Doyen Emile DURAND (1911-1999)

ou l’Itinéraire d’un Physicien en FRANCE

au XXème siècle

Jean-Louis GUIRAUD
Professeur Emérite
Université de Nice Sophia Antipolis
Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace (Toulouse)
Président d’Honneur du G.R. Midi Pyrénées de la SEE

 

1 Introduction

 Emile Durand est né à Paris en 1911, et passe son enfance à Pertuis un petit village de Provence. Issu de famille modeste, ses instituteurs à l’école  le remarquent pour son intelligence, et c’est tout naturellement qu’ils l’encouragent à  se présenter au concours d’entrée à l’Ecole Normale d’Instituteurs d’Aix en Provence. A cette époque, les années 30, les écoles normales formaient les instituteurs de l’enseignement primaire, ceux que les historiens ont appelé les « Hussards de la République » et dont la vocation initiale était d’être au service du Peuple.

E. Durand malgré l’opposition du directeur de l’école normale, décida de poursuivre des études supérieures à l’Université de Marseille où il obtint la licence et le diplôme d’Etudes supérieures, subissant l’ostracisme de ses anciens camarades qui l’accusèrent de trahir la cause du Peuple. Il n’oubliera jamais ce sectarisme. 

En 1937, il est nommé professeur agrégé de physique au lycée Corneille de Rouen (Normandie) et fréquente alors les laboratoires et les séminaires parisiens entre deux voyages en train. La seconde guerre mondiale interrompt ses premiers travaux «expérimentaux » de recherche commencés chez lui  avec un interféromètre acheté avec l’aide de son beau-père !

A la Libération (août 1944), il reprend les contacts à Paris notamment avec l’Institut d’Optique et Charles Fabry (1867-1945) pour un grand projet en optique théorique. Le projet n’aboutira pas, suite au décès de ce dernier.

E. Durand s’oriente alors définitivement vers la physique théorique. Nommé en 1945 professeur au lycée Lakanal de Sceaux, il suit le séminaire de Louis de Broglie (Prix Nobel de Physique) à l’Institut Henri Poincaré et soutient sa thèse en 1948 sur «Recherches sur l’Electromagnétisme classique et sur la théorie de Dirac ».

2 Arrivée à Toulouse en 1949

C’est à cette époque que le Doyen de la Faculté des Sciences de Toulouse, Gaston Dupouy (pionnier du Microscope Electronique), écrit à son ami Louis de Broglie pour qu’il lui envoie un « Physicien qui sache calculer » afin de pourvoir un poste de Maître de Conférences : les études dans la réalisation du microscope électronique nécessitent des calculs rigoureux sur les lentilles électrostatiques et magnétiques. Emile Durand recommandé par le Prix Nobel de Physique (1929) s’installe à Toulouse en 1949. Trois ans plus tard il deviendra Professeur de Physique Théorique.

En 1948-1949, il publie une série de travaux sur la diffraction, le principe de Huygens, qui sont analysés dans un rapport critique [1] par le Professeur Toraldo di Francia (Université de Florence, Italie). Suivront de nombreuses discussions avec ce grand scientifique sur la diffraction, les principes classiques et la présence des ondes évanescentes. Ces travaux sont signalés notamment dans la première compilation d’articles sur la diffraction par C.J. Bouwkamp [2] ainsi que dans le livre de A. Boivin [3].

Une nouvelle formule publiée par E. Durand en 1948  [ 4]  annoncera les débuts de ce qu’on appellera plus tard « La Théorie Spectrale de la Diffraction »[ 5]. Le Prof. Y. Rahmat-Samii (UCLA) le signalera élégamment dans l’introduction de son papier invité au congrès JINA de Nice (France) en 1988.

3 Doyen de la faculté des Sciences de Toulouse à 42 ans (1953)

1953, E. Durand publie son premier livre, préfacé par Louis de Broglie : « Electrostatique et Magnétostatique », [6] ouvrage qui le fera connaître dans la communauté scientifique internationale.

Les publications de cette période correspondent à ses travaux en optique électronique sur les lentilles magnétiques [7, 8], fruits de sa collaboration avec le Professeur Gaston Dupouy,  Membre de l’Institut - Académie des Sciences. En 1956, ses études seront plus orientées vers l’électromagnétisme classique dans ses rapports avec les théories relativistes et quantiques [9, 10, 11].

Parallèlement,  en 1953, E. Durand est élu Doyen de la Faculté des Sciences de Toulouse. Il le restera jusqu’en 1966. Son action majeure dans ces nouvelles fonctions sera la construction d’une nouvelle faculté aux portes de Toulouse sur un vaste terrain de 180 ha et la création de l’Institut de Calcul Numérique de Toulouse.

En 1958, l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle favorise le développement  universitaire et, la construction d’une nouvelle faculté à Toulouse - Rangueil est inscrite au 4ème plan. Commence alors une période de batailles administratives pour la réalisation de ce grand projet qui doit être l’équivalent des campus américains. Au début, les oppositions locales et politiques ne manquèrent pas, la municipalité ayant d’autres projets. Le Doyen Durand surpris et vexé mais non découragé, réussit à galvaniser de bonnes dynamiques avec des collègues de grand talent comme les professeurs Lagasse et Cambou [16]. Une impulsion nouvelle est donnée avec la création des "Journées d’Electronique de Toulouse"dont le but est d’attirer à Toulouse de nouvelles industries. La nouvelle municipalité, élue en 1958, soutiendra les universitaires et participera activement  pour trouver des solutions à la venue à Toulouse des grandes Ecoles d’Ingénieurs parisiennes comme l’ ENAC, SUPAERO et facilitera la création du CERT- ONERA. Cette décentralisation vers Toulouse se poursuivra avec l’installation du CNES et la création des laboratoires  LAAS (Laboratoire Automatique et Applications Spatiales) et CESR (Centre d’Etude Spatiale des Rayonnement).

 4- Création de l’Institut de Calcul Numérique (1957)

A la fin des années 50, l’arrivée des premiers ordinateurs fut pour les physiciens la grande affaire devant les nouvelles et immenses possibilités offertes par ces machines pour le calcul numérique. Le Doyen Durand qui avait déjà travaillé sur le calcul des lentilles électroniques, mais avec des machines basiques, crée l’Institut de Calcul Numérique de Toulouse. L’installation de machines IBM, fut une véritable révolution pour le calcul scientifique. Le monde industriel dans ce mouvement général, s’ouvrit à un espace encore plus grand de recherches. Le développement des méthodes d’analyse numérique et leur utilisation s’ensuivirent dans cette approche nouvelle des activités scientifiques.

E. Durand se mit au travail avec ces nouveaux outils, expérimentant les méthodes numériques pour la résolution des équations aux dérivées partielles de la physique : électromagnétisme, élasticité, mécanique des fluides, mécanique quantique. Il publiera ses expériences numériques dans deux livres de "Solutions Numériques des Equations algébriques" en 1961et 1962 [12].

La période était passionnante, car le «  Plan Calcul » voulu par le Général de Gaulle, était alors en plein essor.

C’est le plus ancien élève (premier assistant et thésard) de E. Durand,  le Professeur M. Laudet, qui devint en 1966 le premier Directeur de l’IRIA (Institut de recherche en Informatique et automatique), aujourd’hui l’INRIA. Le mot «informatique» encore peu utilisé s’installera alors durablement dans notre vocabulaire courant, caractérisant un changement d’époque.

De cette dynamique naquit la création d’un environnement spécifique et un enseignement général d’Informatique où l’analyse numérique, alors peu enseignée en Universités et dans les Ecoles d’Ingénieurs, devint une discipline très importante faisant le lien entre la physique et les mathématiques appliqués [16].

E. Durand n’a pas manqué ce virage historique, y entraînant pour l’avenir toute l’Université et les Ecoles d’Ingénieurs de Toulouse et  étendant ainsi une solide influence bénéfique aux Industries locales.

Il dirigera l’Institut de Calcul Numérique de Toulouse jusqu’en 1972.

5 L’Enseignement

Durant toute cette période et jusqu’en 1977, E. Durand assura un enseignement de physique en 2ème et 3ème cycle. Dans les années 60, son cours d’Electricité fut le plus célèbre, il nécessita le triplement des enseignements pour accueillir tous les étudiants.

E. Durand a laissé le souvenir d’un enseignement clair, précis, efficace. Aimé et respecté de ses étudiants, l’admission dans son laboratoire de physique mathématique pour y préparer une thèse était déjà considéré comme une reconnaissance pour celui qui avait été sélectionné, mais avec la perspective d’un important travail rigoureux à accomplir pour y obtenir le Doctorat.

Après avoir été à la tête de la Faculté des Sciences pendant 13 années (élu 4 fois) et avoir créé la nouvelle Faculté des Sciences, il eut la sagesse de se retirer avant les évènements de 1968 pour revenir à ses travaux de recherche et la rédaction de ses livres de Physique et de Mécanique Quantique. Son premier livre [ 6] fut revisité en trois tomes d’Electrostatique (1964-66) [13] et un de Magnétostatique (1968) [14], faisant une large place au calcul numérique. Suivirent trois tomes  de Mécanique Quantique (1976-1978) [15] véritable traité sur la physique moderne, toujours chez le même éditeur Masson (Paris).

6 Conclusion

Le Doyen Durand  publia encore quelques articles dans les revues : Physical Review D, Il Nuovo Cimento et l’International Journal of Theorical Physics, avant d’être élu en 1982 membre correspondant de l’Académie des Sciences de l’Institut de France.

Pendant toute sa vie le Doyen Durand a enseigné et dirigé des recherches. Sa plus grande réalisation restera la création d’une nouvelle Faculté des Sciences, pour l’« Université Paul Sabatier » de Rangueil, avec l’Institut de Calcul Numérique de Toulouse.  Pendant 30 ans il aura formé et contribué à former des générations d’étudiants et de professeurs. Les 10 volumes qu’il a écrits font partie intégrante de notre univers scientifique pour l’Enseignement et la Recherche.

Emile Durand représente le plus bel exemple de ces enseignants du siècle dernier, qui partis modestement d’une Ecole Normale d’Instituteurs, ont progressé jusqu’à l’Institut de France comme membre correspondant de l’Académie des Sciences.

En innovant, avec les moyens modernes qui s’ouvraient à lui, E. Durand a contribué grandement au développement de l’Enseignement et de la  Recherche au service de son pays.

Toute sa vie il a pensé que « …la Science est le moteur du progrès humain…. », franchissant avec passion et sens du devoir toutes les étapes pour réussir la plus belle des missions, celle qu’il s’était choisie,  « Rechercher et Transmettre  la  Connaissance Scientifique »

 


 Bibliographie

[ 1 ]   G. Toraldo di Francia,  Sur les lois générales de la Diffraction- Rapport critique. Revue d’Optique, t 28, n°11, p.597-611, novembre 1949. -->

[ 2 ]   C.J. Bouwkamp,  Diffraction theory,Report on progress in Physic, 17, p 35-100, 1954, (p.41). -->

[ 3 ]   A. Boivin, Théorie et Calcul des figures de diffraction de révolution.Les presses de l’Université de Laval , 1964. (p.14). -->

[ 4 ]  E. Durand, Une nouvelle formule pour le calcul des phénomènes de  diffraction. Compte rendu Académie des Sciences, Paris, t 226, p.1812-1814, 1948. -->

[ 5 ]  R. Mittra, Y.Rahmat-Samii, W.L.Ko, Spectral theory of Diffraction, Applied Physics, vol. 10, p.1-13, 1976. -->

[ 6 ]  E. Durand, Electrostatique et Magnétostatique, Masson, Paris, 1953. -->

[ 7 ] E. Durand, Une représentation simple de la théorie générale des systèmes de révolution  en Optique Electronique (Relativité et aberrations comprises). Revue d’Optique, t 33, n°12, p.617-629, 1954. -->

[ 8 ] E. Durand, Calcul numérique des lentilles magnétiques, Colloque CNRS « Les Techniques récentes en Microscopie Electronique et Corpusculaire » , Toulouse, 4-8 avril 1955. -->

[ 9 ] E. Durand, Solution des équations de Maxwell et des équations de Dirac pour des conditions initiales données. Le Journal de Physique et du Radium, t 15, p 281-287, avril 1954. -->

[ 10 ] E. Durand, Les équations fondamentales d’un électromagnétisme classique non  conservatif. Compte rendu Académie Sciences , Paris, t 242, p.1862-1865, 1956. -->

[ 11 ] E. Durand, Essai sur une théorie classique de la création et de l’annihilation des  charges électriques. Annales de la Faculté des Sciences de l’Université de Toulouse, 1957. -->

[ 12 ] E. Durand, Solutions numériques des équations algébriques, Tomes I , II, Masson, Paris, 1961-1962. -->

[ 13 ] E. Durand, Electrostatique, tomes I, II, III, Masson, Paris, 1964-1966. -->

[ 14 ] E. Durand, MagnétostatiqueMasson, Paris, 1968. -->

[ 15 ] E. Durand, Mécanique Quantique, tomes I, II, III, Masson , Paris, 1970-1976. -->

[ 16www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/agenda_patrimoine-ups.pdf Université Paul Sabatier. Patrimoine scientifique et médical : Conférences Cycle Mathématiques: Professeurs Alain Rigal, Philippe Durand. -->